Marc Bouriche est poète, humaniste, voyageur, ami de L’Ami du Vent.
On peut aussi dire de Marc Bouriche qu’il est médecin-psychothérapeute de formation, conférencier, auteur/ traducteur, et depuis 2016, producteur amateur de spectacles poétiques – Le concert de Lily Rose – et créateur de nombreux podcasts poétiques – Poésie Voix.
Marc Bouriche est également membre actif de l’association « Écritures et spiritualités » dont François Cheng est président d’honneur.
Lettre extraite du livre « Éclairices en haute mer – Lettres d’escale » de Marc Bouriche, Éditions Complicités, collection L’art de transmettre.
Le désert est beau, ne ment pas, il est propre. Celui qui cueille une fleur dérange une étoile.
Théodore Monod
Cette lettre saharienne est un Quadruple hommage.
Aux chameliers de tous les déserts qui perpétuent un mode de vie ancestral et font de la sobriété un art de vivre. Partir au désert à leur suite c’est préserver ce mode vie qui a tant à offrir aux modernes.
À la mémoire de Charles de Foucauld (1858-1916) dont l’œuvre et la quête au désert inspirèrent la mienne.
À la mémoire d’Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) dont l’œuvre et la vie éveillèrent mes premiers émois littéraires et me donnèrent le goût des départs et de l’inconnu.
À Nadia Naît Ali, femme remarquable de l’Oasis de Fint au Maroc où elle vit le jour. Elle cofonda l’éco lodge du « Bivouac des Aigles » où elle m’accueillit pour un séjour mémorable qui me permit de donner forme à cette lettre. Par son engagement sans réserve et ses sacrifices personnels elle émancipa les femmes de sa communauté du carcan de la tradition.

Sahara
Lettre à l’amoureux du désert,
À Nadia Naît Ali.
Une fiction dit de lui la soif, la solitude, la mort. L’expérience dit la satiété, la joie, la vie foisonnante… secrète.
« Dans la dune en pelisse
Que l’ombre s’engloutisse
Et que de l’Oasis
L’esprit ravi surgisse ».
Souple, indécise sur son cap, la dune joue avec la brise, ondule du proche au lointain, découvre ses rondeurs, apaise les sens, fascine le regard. Elle danse avec le vent, le prend pour époux. Il donne la cadence, elle imprime son rythme, compose sa symphonie d’arabesques, invente sa palette de couleurs selon l’azimut du soleil – du blême certains matins d’hiver embrumés au noir d’encre des nuits sans lune – elle copie Pierre Soulages, ou l’inverse. Le vent suit, caresse ses nouveaux contours. Imprévisible et douce, elle se décline au féminin. La ligne claire de son arête sépare l’ombre de la lumière quand l’astre peint le ciel de ses pastels aux aurores ou jette au couchant ses dernières flamboyances crépusculaires. Elle offre ses combes au dormeur sous les étoiles, ses pâturages clairsemés à la brigade de dromadaires libérés de leur fardeau quand ils s’égaillent le soir venu pour une ripaille nocturne.
La dune préside au silence, annonce le temps retrouvé, dépose au fond de l’âme un onguent pour les blessures.
Frère de l’âne et de la mule, le dromadaire est plus qu’un porte-faix ou un placide ruminant, il est un vrai compagnon de pèlerinage.
Calme et hauteur de vue irradient de son pas chaloupé, mesuré. Sobre, résilient, endurant, sage, expert en économie d’énergie, autonome, humble, amical, il laisse penser, à le côtoyer, qu’il aime ce qu’il fait et trouve même sa liberté à servir une vie plus haute. Qui n’a rêvé, un jour, de rencontrer celui ou celle dont l’ancêtre eût été un camélidé dont il aurait hérité le caractère !
Une plume de queue égarée par un faucon dans un épineux. Le piétinement d’une escouade de cigognes tenant conciliabule avant le grand voyage, les croix de leurs pieds nus sur le méplat d’une dune, augurent l’excitation de la grande migration vers le septentrion. Je lève la tête au petit matin pour me réjouir de leur farandole sur les hauteurs de l’air avant de s’élancer vers le nord.
On lit les signes au sortir des songes, au lever du jour, sur la page rousse du sable tendre d’équinoxe de printemps. Ils témoignent des drames et des ébats de la nuit, des fuites et des affûts. Ils disent les rencontres, heureuses ou pas, les déambulations, les rêveries peut-être. Chacun a sa marque singulière, gazelle ou chacal, fennec ou gerboise, lézard ou salamandre.
La vie sans artefacts, fondement d’une civilisation.
Émeraude sertie entre deux falaises de basalte l’oasis ouvre au voyageur ses bras de palmes balancés par la brise, nous raconte une autre permanence: l’immuable confrontation du dur et du tendre, de la roche millénaire, la durée, et de l’eau imprenable, le passage, quand l’une dépouille l’autre restaure. Elle met en scène l’âpre fraternité du stable et du mouvant, du sédentaire et du nomade. Le reg pousse à la marche sous l’ardeur de l’astre, les jardins dessous les palmes invitent l’assise sous les ombrages. Le vert apaise le regard, le rend à sa bienveillance originelle, l’ocre calciné dit le feu des entrailles, deux manières d’aimer, la terre et les hommes.
Les fleurs rayonnent de la palette enchantée de Marc Chagall ; volubiles, sans apprêts, se satisfont pour se mettre en campagne d’une jupe toute simple et d’un petit débardeur, d’un peu de sable et de lumière en abondance.
Avec les enfants joueurs, les oiseaux chanteurs et la simplicité d’une vie dépouillée d’inutile, elles sont la source de la joie la plus haute que connaît le marcheur du désert.
On pourrait imaginer qu’elles tirent leur éclat de l’aridité de la terre qui les porte. Comme d’une femme libre d’artifices, jamais on ne se lasse de leur compagnonnage.
Point n’est de choisir entre les hommes et les dieux, l’homme du désert embrasse deux vocations, deux émotions fondatrices, l’amour charnel de la terre-mère qui le mit au monde, l’intuition fulgurante d’une force créatrice qui le féconda. Les grands sahariens des siècles passés, Charles de Foucault, Antoine de Saint-Exupéry, Roger Frison-Roche ou Théodore Monod ont ouvert deux chemins aux hommes du siècle vingt-et-un, l’un pour le géographe, l’autre pour le mystique. Ils ont balisé à l’envi le premier, défriché le second, nous invitent à poursuivre cette dernière exploration si nous voulons échapper aux cavaliers de l’apocalypse lancés au grand galop de leur destrier cybernétique.
Il nous faudra deux cœurs pour survivre aux deux déserts qui s’annoncent – la terre ravagée et l’âme insultée – l’un pour assurer la maîtrise d’une parole incarnée, infusée de joie sans cause, le second pour habiter nos silences et qu’ils soient une chaumière où il y ferait bon vivre pour l’étranger.
Évanescente, inconsistante, l’ombre au désert se dissout dans les sables en mouvance, poussières d’étoiles aux saveurs de soupe intersidérale. Le mal s’épuise au désert, suffoque, dépérit. La solitude y est joie, révèle le libre et le sauvage que masquait l’abondance. La méharée est une famille qui s’est choisie. L’austérité est plénitude désencombrée.
Comme aux jardins de l’âme, la vie secrète, discrète, souvent nocturne, y fleurit. Marcher au cul des dromadaires des heures durant ou s’asseoir en lotus dans un ashram himalayen assurent à part égale la mort annoncée du petit moi, de ses raideurs et certitudes.
Terre et ciel célèbrent au quotidien leurs épousailles. Ils étaient promis l’un à l’autre depuis les temps immémoriaux, poursuivent leur cour légendaire jusqu’à la fin des mondes. Ils sont entité insécable, conversent sans répit. Leurs disputes occasionnelles sont sans conséquences, renouvellent leurs promesses, sanctifient leur tendresse de nouveaux élans.
Leur babillage amoureux dit aux hommes qu’ils peuvent aimer sans craindre, ni de vivre, ni de disparaître du monde des formes. Avec ou sans eux la grande aventure du vivant poursuivra sa chevauchée au rythme des galaxies.
