Le rituel de la cérémonie des trois thés

Partout au Sahara, du désert de Mauritanie au Sahara du Maroc (le fameux thé à la menthe marocain… !) en passant par le Sahara occidental, du désert d’Algérie au Grand erg Oriental en Tunisie, boire le thé est un art de vivre : la cérémonie des trois thés est un rituel, une cérémonie emplie de symbolisme et de convivialité.

Elle est une marque de la culture des peuples nomades du Sahara : peuple mauritanien, peuple marocain, Touaregs et aussi nomades dans le Sud tunisien… tous perpétuent le rituel de la cérémonie des trois thés.

Pour la cérémonie des trois thés, il faut de l’eau et du feu. Du thé vert et du sucre. Deux théières et des petits verres. Du temps.
Bismillah !

Mais avant le rituel de la cérémonie des trois thés… Un peu d’histoire du thé…

Cérémonie des trois thés : les petites théières emblématiques du Sahara

Le thé est apparu il y a plus de 4600 ans, probablement en Chine.

Il existe plusieurs mythes et légendes, chinoises et indiennes, qui évoquent la première utilisation du thé comme breuvage, aussi nous n’allons citer que la légende chinoise la plus répandue, celle du traité de phytothérapie Shennong bencao jing : c’est à l’Empereur Shen Nong (héros de la mythologie chinoise) que nous devons le thé ! Il aurait en effet fait bouillir de l’eau sous un théier avant de la boire, eau dans laquelle des feuilles de thé seraient tombées. Shen Nong a apprécié cette boisson et en a répandu l’utilisation.

Le Er ya, dictionnaire chinois ancien, cite l’emploi des feuilles du théier. À l’origine, les feuilles de thé étaient soit mastiquées, soit utilisées en infusion.

Le premier texte connu qui évoque l’utilisation du thé en tant que boisson est écrit en 59 avant JC par Wang Bao (poète chinois de la dynastie des Han occidentaux) qui relate ses vertus médicinales.

Il devient alors une boisson quotidienne en Chine sous les dynasties des Han occidentaux (206 avant JC – 220 après JC) et des Trois royaumes (220-208 après JC).

Le thé devient une boisson à la mode sous la dynastie Tang (618-907). L’État taxe alors trois grands produits : le sel, l’alcool, et le thé.

Au 7e siècle le thé apparaît en Corée.

Le commerce du thé (sous forme de briques de thé) se développe vraiment au cours du 8e siècle, et le thé devient la boisson usuelle des Chinois.

Les briques de thé servent de monnaie d’échange auprès des peuples du Nord de la Chine : c’est ainsi qu’il a été introduit en Mongolie (où il était échangé contre des chevaux), où il est toujours consommé bouilli, salé, avec du lait de yaks ou de vaches.

À partir de 729, on en sert à la Cour du Japon : il est importé par un un ambassadeur à la cour Tang.

Le Classique du Thé est le premier ouvrage écrit au sujet du thé. On le doit à Lu Yu (auteur chinois de la dynastie Tang) vers 760-780 et il aborde la plante en elle-même, mais aussi les différentes qualités de feuilles, les outils pour sa récolte, les accessoires pour la préparation de la boisson, l’histoire des plantations et de certaines célébrités buveuses.

C’est à l’Empereur Hui Zong de la dynastie des Song du Nord (960-1279), surnommé « l’empereur du thé » que l’on doit un écrit sur les vingt espèces de thé, dont le thé blanc, considéré comme le plus rare et le plus attrayant. Lorsque la Chine du nord est envahie par les nomades, il est fait prisonnier et les Song se replient vers le Sud de l’Empire : pour négocier une non-invasion, ils versent aux Mandchous un impôt de thé pour éviter une nouvelle invasion.

C’est au 13e siècle que l’Europe entend parler du thé par les explorateurs comme Marco Polo.

En 1391, Hongwu, le premier empereur de la dynastie Ming (1368-1644) ordonne que le thé livré à la Cour doit désormais l’être sur forme de feuilles entières et non de briques.

Dès lors, le thé est conservé dans des boîtes à thé, préparé dans une théière et servi dans des petits tasses individuelles pour en exhaler l’odeur et la saveur.

Ce sont les Portugais qui importent le thé en Europe pour la première fois depuis le comptoir du Japon à partir du milieu du 16e siècle, mais ce sont les Hollandais qui en font réellement commerce par la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales (la VOC, crée en 1602) à partir de 1606. Le thé devient très populaire en Hollande.

Dès 1615, le thé arrive en Angleterre, puis en 1636 à Paris. Le thé vert de Chine apparaît aussi au Maghreb au 17e siècle.

À partir de 1662, le thé se popularise en Angleterre. En 1706, Thomas Twining, commis d’un marchand de thé, fonde la coffee-house de Tom à Londres. Il se spécialise en thé, et en 1717, Twining ouvre une boutique à Londres.

À la fin de 17e siècle, ce sont les Anglais les plus grands consommateurs de thé mais celui-ci reste principalement importé par les Hollandais.

Cérémonie des trois thés : le thé à la menthe au Maroc
Cérémonie des trois thés : le fameux thé à la menthe au Maroc

D’ailleurs ce sont des marchands anglais de la Compagnie britannique des Indes orientales qui apportent du thé à la cour du Sultan du Maroc à la fin de 17e siècle. Le thé vert à la menthe est alors réservé à l’élite de la Cour du Sultan et ce n’est qu’au 19e siècle que la tradition du thé émerge et commence à prendre de l’ampleur, au Maroc, puis dans tout le Maghreb et l’Afrique d l’Ouest.

Ceci dit, on peut lire dans certains livres d’histoire que ce sont les Phéniciens qui auraient apporté le thé au Maroc au 12e siècle. D’autres disent que ce sont les Berbères qui l’ont ramené d’Asie…

En tous cas, c’est depuis le Maroc que le thé se diffuse au Sahara, grâce au nomadisme des peuples Berbères et Touaregs. La tradition marocaine du thé à la menthe est reprise par les populations du Sahara qui s’approprient la cérémonie des trois thés en l’adaptant selon les régions et créant leur propre rituel : la cérémonie des trois thés devient emblématique du Sahara.

Le thé vert Gunpowder de Chine est donc bien présent dans toute l’Afrique du Nord, l’Afrique subsaharienne et l’Afrique saharienne, et la cérémonie des trois thés est un rituel très important et très codifié de la vie au Sahara.

Selon les pays, la cérémonie des trois thés varie quelque peu mais elle est toujours un symbole d’hospitalité, de convivialité, d’échanges et de partages, d’amitié. Chez les Touaregs la cérémonie des trois thés est appelée « ataye ».

Au Maroc la tradition est vraiment le thé à la menthe, et parfois quelques gouttes d’eau de fleur d’oranger y sont versées.

En Tunisie, le thé peut être servi avec des pignons de pins ou des amandes, du gingembre, et parfois du thym sauvage, du romarin, ou de la sauge sont ajoutées, selon les plantes locales disponibles alentour. Chez les Touaregs, qu’ils soient en Algérie, en Mauritanie, au Niger… le thé est très corsé, il est de couleur caramel, et bien souvent les feuilles de menthe sont absentes car on ne trouve pas de menthe dans le Sahara !

En général, tout au long d’une randonnée chamelière au Sahara, c’est toujours la même personne qui prépare le thé… c’est le maître de cérémonie des trois thés.

Le thé est toujours bu très chaud, par petites gorgées, et il est servi dans des petits verres (jamais des tasses).

L’art du thé au Maghreb et au Sahara réside dans le fait de le faire mousser : pour honorer les invités, un thé se doit d’être le plus mousseux possible.

C’est pour cela que le geste pour verser le thé dans les petits verres est si particulier : il s’agit de verser le thé très chaud de verre en verre, bien droit et d’assez haut, pour y faire monter la mousse. Le meilleur sucre pour la préparation du thé est le sucre en pain, mais parfois, par contrainte ou nécessité, c’est du sucre en morceaux ou du sucre en poudre qui est utilisé.

Cérémonie des trois thés chez les Touaregs
Cérémonie des trois thés chez les Touaregs

Avant toute chose, on rend grâce à Dieu. Puis commence un long ballet pour deux mains et deux théières. Les mains sont longues et cuivrées. Les théières toutes petites, comme des jouets. Drôle de dînette pour qui ne connaît pas les règles de ce jeu d’adresse et de patience !

La cérémonie des trois thés peut commencer…

Les feuilles de thé vert sont ébouillantées dans la première théière, puis quand la théière chante, l’eau est jetée (ainsi la théine est en grande partie enlevée). On les laisse ensuite infuser dans de l’eau très chaude, puis le contenu de la première théière est versé dans la seconde théière au fond de laquelle a été placé un éclat du pain de sucre. Lorsque de la menthe ou des plantes sont utilisées, elles sont incorporées dans la seconde théière.

Le rituel consiste ensuite à transvaser plusieurs fois une partie du contenu de la seconde théière dans un verre et vice versa, jusqu’à ce que le sucre soit totalement fondu et que le maître de cérémonie des trois thés juge le thé suffisamment sucré et correctement infusé. Le thé commence à mousser, il est doré comme du miel…

C’est prêt. Il ne reste plus qu’à goûter. Si c’est assez fort, assez sucré et assez chaud, on sert. De très haut pour que la mousse arrive juste au bord des verres.

Le premier thé servi est brûlant, il est de couleur foncée, très fort et « peu » sucré (tout est relatif !).

Le maître de cérémonie des trois thés ajoutera ensuite du sucre dans la seconde théière et reprendra le rituel de transvasement (ce sont donc toujours les mêmes feuilles de thé) encore deux fois, d’où le nom de cérémonie des trois thés.

Le deuxième thé est moins corsé, et de couleur or, il est plus sucré.

Le troisième, de couleur jaune pâle, est très sucré et liquoreux.

Cérémonie des trois thés : le 1er thé est amer comme la mort, le 2e est doux comme la vie, le 3e est sucré comme l'amour
Cérémonie des trois thés : le 1er thé est amer comme la mort, le 2e est doux comme la vie, le 3e est sucré comme l’amour

Enfin le maître de cérémonie des trois thés lave les petits verres, avec très peu d’eau, d’une seule main agile, et les range avec soin (certains utilisent encore des boîtes spécifiques en bois, recouvertes de cuir). Cela fait partie de la cérémonie.

Dans le désert du Sahara où il est normal de partager l’eau, la nourriture ou le feu du campement, on ne remercie pas ses hôtes mais Dieu. En revanche, on dit merci pour les trois thés : c’est un cadeau.

Selon les pays, les régions, et les traductions (!!!), vous entendrez que…

« Le premier thé est amer comme la mort
Le deuxième thé est doux comme la vie
Le troisième thé est sucré comme l’amour »

« Le premier thé est amer comme la vie
Le deuxième thé est doux comme l’amour
Le troisième thé est suave comme la mort »

« Le premier thé est amer comme la vie
Le deuxième thé est fort comme l’amour
Le troisième thé est suave comme la mort »

Pour le peuple mauritanien, il y a trois conditions à la cérémonie des trois thés : Jmar (la braise), Jar (la lenteur) et Jmaa (le groupe, l’assemblée).

Lors d’une invitation à boire le thé, par ce qu’il véhicule comme valeurs et symboles – hospitalité, convivialité – il est perçu comme impoli et vexant de refuser. Cela peut même être considéré comme un affront.

De plus, si on accepte le premier thé, on se doit d’accepter les deux suivants (ce serait très impoli de les refuser, voire de quitter son hôte après le premier thé).

Ensuite on peut refuser (le quatrième ou le cinquième thé) sans être impoli : effectivement, un quatrième verre est parfois offert pour le plaisir des plus gourmands, et un cinquième verre, s’il est servi, sert à faire comprendre aux invités que le moment est venu de prendre congé.

Si on rend son verre de thé retourné, c’est pour signifier qu’on ne souhaite plus être servi.

Cérémonie des trois thés, la petite théière sur les braises : on garde toujours au chaud du thé pour le visiteur
Cérémonie des trois thés, la petite théière sur les braises : on garde toujours au chaud du thé pour le visiteur

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